Annette Wieviorka Mari – Sans aucun doute, Liang Zongdai (1903-1983) est le plus encourageant de tous. Ce compagnon de route de Romain Rolland, Paul Valéry et notamment Jean Prévost vient de subir une sévère « rééducation », mais il est de retour sur les rails et voit même son buste exposé à l’Institut de langues, comme a pu le constater Annette Wieviorka lors de son retour sur scène en 2019.
Un groupe d’enfants le traite comme un huaidan (« œuf pourri ») et le surveille constamment. Du martyr qu’il était à l’époque, vivant ses racines bourgeoises, « fatalement contre-révolutionnaires », rien n’était dit. C’est seulement alors que l’historienne revient en France et écoute les Mémoires à deux voix de Marcelle Auclair et Françoise Prévost qu’elle prend conscience de la signification du personnage. Les rencontres manquantes, même avec des membres de leur propre famille, remplissent leur vie, dit Annette Wieviorka en regardant en arrière.
La défense
Près d’un demi-siècle plus tard, la professeure des universités, qui fut également directrice de recherche par intérim au CNRS, avoue avoir souhaité imposer une telle discipline à son fils. Et cela avant même d’entrer dans la révolution culturelle qui s’opère depuis 1966. « Nous avons été laissés pour compte par la grande famine qui a frappé le pays, isolés du reste de la communauté éducative, ne nous occupant que des expatriés qui, comme nous, Je ne maîtrisais pas toujours la langue chinoise”, a-t-elle déclaré. Cette timidité face à la sauvagerie de la répression la conduira à de nombreux rendez-vous manqués.
Une dépression pitoyable accompagne son acceptation des erreurs totalitaires commises par cette Chine, et son honnête autocritique ne fait pas grand-chose pour atténuer cette situation. Une sorte de réveil qui ne se produira pas à son retour en France en août 1976, mais plutôt à la faveur d’un séjour ultérieur en juillet 1977. Elle explique : « La culpabilité de mon engagement m’a saisie » alors qu’elle participe aux préparatifs. pour une manifestation “spontanée” qui devait accompagner l’annonce du retour de Deng Xiaoping à ses fonctions. «
Le fanatisme qui avait été chez moi m’a alors sauté aux yeux » (continue l’historien, « en réalisant à quelles extrémités peut conduire cet abandon de soi au sein de la foule »). Elle conclut en espérant que d’autres intellectuels pourront « rompre avec ces mécanismes d’enfermement de la pensée qui empruntent tant au phénomène sectaire » après avoir lu son récit de son propre aveuglement.
Le cheval de Canton et Annette Wieviorka
L’historienne revient sur l’amour qui a suscité son intérêt pour la Chine dans les années 1970 dans un récit autobiographique. l’occasion d’une analyse morale. Elle ne s’en cache pas après avoir été maoïste. Elle explique pourquoi elle est riche et comment elle y est arrivée.
Dès la sortie de son premier livre, L’Écureuil de Chine (1979), Annette Wieviorka se fait examiner la conscience sur le sujet. Ses recherches sur la Seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement sur la Shoah, font désormais autorité. Quatre décennies plus tard, elle y revient, évitant cette fois le sujet au profit d’un récit autobiographique* qui touche à la sincérité sans laisser de traces de l’historien.
La couverture de son premier livre ? C’est elle. Le deuxième w de son patronyme a disparu à son arrivée en France en 1924, selon son grand-père, l’écrivain Wolf Wiewiorka (né à Żyrardów en 1898 et mort assassiné à Auschwitz, en janvier 1945).
Née trois ans après l’émancipation et quelques mois avant l’avènement de la République populaire de Chine, Annette Wieviorka commence son récit à l’été 1970. Lorsqu’elle découvre ce pays fascinant et mystérieux, elle a 22 ans et vient de se marier. Elle avoue qu’après avoir étudié les lettres, elle ne connaît pas grand-chose en Chine.
Ayant participé aux manifestations de mai 1968, elle est tout aussi captivée par le projet du régime maoïste de façonner un « homme nouveau », libéré du désir expansionniste impérialiste qui tourmente l’Occident depuis si longtemps.
Voyage initial
La jeune femme est d’autant plus réceptive aux discours de Pékin qu’elle s’est violemment opposée à la guerre du Vietnam et à la rupture du Grand Timonier avec le projet communiste de Moscou à la fin des années 1950. En effet, les deux pays se retrouveront dans des camps opposés dans le conflit, mais la République populaire multiplie depuis 1959 les critiques à l’égard du gouvernement russe voisin.
Le premier voyage d’Anne Vietri en Chine s’apparente « à un voyage de noces », note-t-elle. La jeune femme tombe éperdument amoureuse de ce pays immense, de ses habitants et de ses paysages alors qu’elle enseigne dans un lycée de banlieue parisienne (à Ermont). Elle se rend à Wuhan après avoir accepté une invitation à rejoindre d’autres universitaires français membres des Amitiés franco-chinoises, tout comme elle.
Un groupe de prévenant l’accompagne et s’occupent de la garderie éloignée de la population locale. Les traducteurs qui garantissent la sécurité de ce « voyage organisé » sont ceux qui lui transmettent toute information spécifique au pays. Les manipulations qui guident son regard à ce moment-là ne lui apparaîtront qu’après coup.
À l’heure actuelle, Zhou Enlai et son bras droit Lin Biao occupent un double rôle au sein du gouvernement chinois. Tout en haut se trouve le deuxième. Cet honorable soldat était présent dans chaque bataille pour le pouvoir, et sa loyauté envers Mao semblait inébranlable.
Elle écrit qu’il est devenu l’héritier du Grand Timonier en 1965 après avoir dirigé l’Armée populaire de libération (il n’apparaît en public qu’en uniforme). Les luttes subtiles qui se livrent entre les trois hommes ne seront perceptibles à la jeune Annette que quatre ans après.
Aspiration au retour
Cependant, cette expérience lui donne envie de retourner en Chine et de s’y installer avec sa femme et ses enfants. En septembre 1974, elle noue une relation avec Roland Trotignon, influencé par l’abondante littérature de propagande de l’époque qui surgit pour conquérir l’expérience du « grand lien en avant ». La famille déménage à Canton, où les parents sont inscrits à l’université pour enseigner le français aux futures élites du régime, tandis que leur fils, Nicolas, rejoint le jardin des enfants chinois et abandonne le français pour le mandarin. Là, la famille passera deux ans.
L’attrait de son livre vient du fait qu’il alterne constamment entre les romans de formation et les traités d’histoire de soi, qui se forment tout au long de ces deux années. Annette Wieviorka, qui aspire à mettre de l’ordre dans sa vie, reprend avec la plus grande précision & précision cette expérience d’enseignement en lisant un psaume cité en exergue. Ainsi que les connaissances et la perspicacité qu’il acquiert en travaillant dans les champs avec ses étudiants, comme dans une fabrique de savon.
Ce faisant, l’historienne témoigne aussi de la manière dont elle a longtemps refusé de regarder les choses dans les yeux. Je ne pensais pas que les choses changeraient lorsque je remarquerais une réalité qui ne correspondait pas à ma conception de la Chine avant mon arrivée. “A ce carrefour entre le bien et le mal, j’étais convaincue que les lignes politiques allaient dans le bon sens”, dit-elle en analysant ses convictions.