Lauren Bastide Mari – Une podcasteuse et journaliste féministe à succès signe le manifeste « Presents » dénonçant la marginalisation sociale et économique des femmes. Match à Paris. Quelle idée vous a poussé à entamer des études sur le genre et à créer “La poudre”, un podcast féministe, dès 2016, un an avant #MeToo et trois ans avant l’affaire Haenel en France…? Aimeriez-vous gravir le mont Everest?
Dame Lauren Bastide. Au début, c’était une approche très innocente. Je fais partie d’une statistique : les femmes n’obtiennent que 24 % du temps de parole dans les médias ! En guise de compensation, j’avais prévu de lancer un podcast qui contrepointrait au silence public en mettant en avant les voix des femmes. On me l’a dit à l’époque. Tout cela m’a permis de ne pas tomber dans l’oubli. Une certaine forme de responsabilité m’a été ressentie. était une pensée qui m’a échappé.
Du monde prétendument frivole de la mode au militantisme, n’y avait-il pas là une contradiction ? Le germe du féminisme a germé en vous, comment ? Concernant la grossophobie de certains papiers dans “Elle”, j’ai reçu des alertes de cours qui m’ont fait réfléchir à mes angles morts.
Je ressens un profond sentiment de gratitude envers ces femmes car c’est grâce à elles que j’ai réalisé que je manquais de connaissances scientifiques et, non, je n’aurais pas pu comprendre ce que signifiait être une taille 56 ou endurer l’intolérance.
En travaillant sur “Elle”, j’avais l’impression de faire quelque chose de féministe. Moi aussi. Mais dès qu’on commence à ricaner un peu, on se rend compte qu’on ne parle pas à toutes les femmes et qu’il y a un problème. Un milieu patriarcal caractérise la presse. Moins de 10 % des médias français sont dirigés par des femmes.
“C’est ce milieu majoritairement masculin où règnent le sexisme et les agresseurs qui se charge de couvrir ce démantèlement du sexe sociétal et des violences basées sur le genre”, écrivez-vous en faisant référence à l’échec de #MeToo en France. C’est un serpent qui se mord la file d’attente ? Bien sûr. Surtout quand on sait à quel point la presse est patriarcale et dominée par les hommes et que les femmes ne dirigent que 10 % des médias en France.
J’espère vraiment que les rédacteurs du magazine responsables de ces couvertures de “c’est dur d’être un homme en 2020” ne sont pas complètement dingues. Mais ce n’était pas le sujet. Imaginez s’il y avait plus de femmes dans les conférences de rédaction qui auraient pu dire : « En effet, les gars, il y a un vrai problème de harcèlement sexuel, il faut en parler », et cette affaire aurait été traitée de manière un peu plus équitable.
Pensez-vous, comme le disait Laurent Sciamma dans son émission, qu’une armée féminine pourrait conduire à une révolution si elle était mise en place ? Chose sûre. Au quotidien, je reçois des communications de femmes déterminées qui ne vont pas rester les bras croisés en espérant que des organisations comme l’Académie française répondent à leurs revendications ou que les médias leur prêtent attention.
Ces dernières années, les femmes ont pris conscience qu’elles étaient soumises à un système. Du coup, ils ont pu dire : « Ce n’est pas moi, le problème ». De même, je suis convaincu que #MeToo est arrivé parce qu’il y a eu des espaces de parole qui sont apparus en 2015 et 2016 un peu partout dans
Après la déprogrammation de « Les savantes » de France Inter en 2019, pensez-vous que le féminisme pourrait gagner à ce que ses animateurs créent leurs propres lieux de parole alternatifs ? Oui, je crois que France Inter n’a pas apprécié le cyber-harcèlement qui a suivi mon émission avec Hanane Karimi sur le sujet du voile.
Elle n’a pas été reconnue du jour au lendemain. J’en ai donc déduit que France Inter réagirait négativement lorsque le Parti républicain et tous ses associés se tourneraient vers Twitter pour m’accuser d’être impliqué dans une certaine idéologie en invitant Hanane Karimi.
Le sexisme est là, tout le temps ! Pas seulement parmi les musulmans
En supposant, pour le bien de cette discussion, qu’une veuve n’est pas une victime du patriarcat mais plutôt une femme qui se reconstruit… Pire encore, nous avons utilisé le féminisme comme prétexte pour diffuser une rhétorique raciste et islamophobe ! C’est indéfendable.
Considérant qu’il existe encore en France un retranchement qui cherche à mettre en lumière le sexisme dans des contextes particuliers. Par exemple, le harcèlement de rue est constamment évoqué dans les milieux populaires, mais jamais dans l’Assemblée nationale…! Alors que le patriarcat et le sexisme sont présents de tous temps et partout…
Sauf chez les musulmans. Oui, même s’ils combattent le sexisme partout dans la société, si ces gens sont vraiment aussi féministes qu’ils le prétendent,… Ce qui me dérange, c’est que ces débats ont lieu même lorsque les personnes impliquées ne sont pas sur la plateforme. Mettez l’aiguille dans le micro…! Abolissez-les !
Il y avait notamment cette image d’un animateur de télévision blanc débattant du féminisme…
Oui, d’accord… C’était sorpréndente ! Les inégalités se sont aggravées durant cette période. C’est vrai ce que le féminisme a toujours dit : que les droits des femmes seront défendus à la moindre crise.
Pendant l’incarcération de leur mari, le temps de parole des experts dans les médias a diminué ; la production des scientifiques a également diminué à mesure qu’ils retournaient à la maison pour s’occuper des tâches ménagères et des devoirs scolaires, ce qui était assez dramatique.
Sans compter que les femmes étaient sous-représentées dans le corps enseignant, les aides-soignantes à domicile, les Ehpad, et autres domaines connexes. Ils étaient là, à l’avant-garde, prêts à agir sur le champ de bataille. Alors que les hommes, eux, faisaient des commentaires et des discours.
Les femmes sont soit trop naïves, soit trop louches.
Notamment du voile ou de la tenue des lycéennes à rallonge.
Chose sûre. C’est déprimant de manger en totale opposition ! Cela me rappelle Manuel Valls qui disait : “Marianne n’a pas de couilles, c’est la République !” Ben, non. La pharmacie a en fait deux boutons de sécurité maximale ouverts et Marianne a une jupe sur ses organes génitaux. Parce que quand on porte un col trop haut, on n’entre pas au musée d’Orsay… !
Le restaurateur vous met dans l’embarras chaque fois que vous souhaitez allaiter devant d’autres clients. C’est la matérialisation idéale de la cage dans laquelle les femmes sont éternellement enfermées. Excessivement nul ou dépourvu de contenu.
Dans “La poudre”, vous avez renoncé aux entretiens personnels pour vous consacrer aux notions et écouter les chercheurs de genre. Avez-vous déjà eu l’impression d’avoir été une féministe trop gentille jusqu’à présent ?
On dit que j’ai joué franc jeu dans les idées que j’ai défendues durant les quatre premières saisons. Evidemment, je cherchais à démontrer le système à travers le récit en première personne de mes invités. Mais je pense qu’il serait possible de l’entendre penser à une conversation culturelle classique, sans se rendre compte des connotations politiques et militantes.
Je n’ai plus besoin de m’en cacher aujourd’hui. Les bouquins ont été lus par mes auditeurs, ils ont compris. En conséquence, la recherche, la sociologie et l’histoire du genre sont désormais nécessaires. En tant que journaliste, ma seule force est ma capacité à savoir vulgariser. S’ils sont bien dirigés, ces idées sont à la portée de tous.
Avez-vous des amis dans les industries du divertissement et de la culture ? Quels musiciens vous motivent… Je trouve beaucoup d’inspiration dans les réalisatrices. Céline Sciamma, Maïmouna Doucouré, Alice Diop et d’autres figures littéraires comme Fatima Daas, Alice Zeniter, Chloé Delaume et Lola Lafon Le retour littéraire sur les problématiques féministes est joli.
En plus, dans la BD… Liv Strömquist, Pénélope Bagieu et Catel à l’étranger… Cette magnifique exposition sur Kiki Smith à la Monnaie de Paris s’inscrit dans le cadre des efforts de Camille Morineau et de l’association Aware pour célébrer les femmes artistes. Je suis rempli d’espoir par tout cela.
Quel est votre rêve pour l’avenir…?
C’est voir des femmes puissantes. Cela peut paraître simpliste, mais je suis convaincue que le monde changera plus vite lorsqu’il y aura un véritable basculement, c’est-à-dire une véritable parité, une majorité de femmes dans les lieux de pouvoir – gouvernement, institutions politiques, institutions culturelles, médias -. Imaginez une société où la justice sert à soigner plutôt qu’à exclure, à soigner les vivants plutôt qu’à les exploiter, à libérer les corps, les cœurs et les schémas familiaux…
Lauren Bastide, journaliste, le défend : l’écoféminisme sauvera le monde. . Son nouvel album, Futur·es, qui sort le 6 octobre, nous montre la voie.Assaut : Vous exprimez le “vœu révolutionnaire d’un monde non-violent” dans Futur·es. Cela va à l’encontre de ce que vous avez dit dans vos ouvrages précédents, qui exhortaient les lecteurs à adopter le féminisme.
Qu’as-tu bien fait ? Salut, Lauren Bastide ! Observant cet apaisement en moi, j’ai été surpris un beau matin. Je pense que j’ai développé une forme d’empathie globale vis-à-vis des humains. Peut-être qu’il vient d’avoir quarante ans. Tenez compte du fait que tout le monde subit un traumatisme et une douleur dans une certaine mesure.
Cela vient aussi de mes lectures féministes, qui étaient comme un pansement. Les travaux de Judith Butler sur la non-violence et ceux de Sarah Schulman dans Le conflit n’est pas une agression ont tous deux constitué de véritables révélations politiques et personnelles. Désigner un adversaire était un processus complexe, comme je l’ai informé.
Le fascisme et l’extrême droite sont les seuls ennemis que je puisse accepter de qualifier. Sinon, je ne vois rien qui me permettrait d’identifier un groupe de personnes dans la société qui serait à l’origine de tous les problèmes.
Selon la théorie féministe intersectionnelle, cela n’a aucun sens de classer les gens comme « hommes », car certains hommes sont confrontés à l’homophobie, au racisme, à la pauvreté et à une oppression similaire à celle à laquelle les femmes sont confrontées. Mais je voudrais souligner que je condamne la violence non parce que je prône la non-violence.
Chaque Valerie Solanas [auteur de Scum Manifesto, ndlr] sur Terre a mon plein soutien ! Les marginaux espiègles qui veulent la voler : comme ils la taquinent ! Cependant, je serai derrière eux pour proposer le cercle de réparation et pour que le calumet de la paix soit jeté.